Nous souhaitons revenir sur ce qui s’est passé au salon des éditions libertaires à Lyon, dans la journée du samedi autour de la présentation du livre d’Escudero. Nous avons participé à un événement exceptionnel par sa gravité. Non pas que la violence nous effraie, mais parce que cet événement violent ( à tous les niveaux) s’est déroulé au sein d’un espace construit et destiné aux pensées libertaires et a amené des individu(e)s qui se croisent, militent ensemble, partagent les mêmes lieux, et œuvrent ensemble et chacun(e) à leur manière à la construction d’une société libertaire, à s’attaquer, s’insulter se battre même comme de vulgaires ennemi(e)s.
Comment avons nous pu « nous anarchistes » en arriver à une situation proche du lynchage ? Comment certain(e)s ont pu croire qu’en supprimant ce débat nous pouvions évacuer les questions politiques, humaines, économiques, philosophiques que ce sujet pose ? Comment certain(e)s ont pu croire, que ce livre, volontairement provocateur ( au sein des milieux libertaires) pourrait permettre le débat ? Comment avons nous pu à ce point nous laisser tenter de part et d’autre par la logique du bouc émissaire, comment certain(e)s ont pu croire qu’en réduisant un individu au silence, en lui interdisant de s’exprimer, nous allions pouvoir annuler, supprimer les questions que posent ce livre ?
Ces situations violentes ne sont pas nouvelles mais elles deviennent récurrentes dans les milieux libertaires et mettent en évidence deux problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons, que cela soit au sein de la mouvance libertaire qu’au sein des organisations.
Nous pouvons faire deux constats qui eux-même nous amènent à poser un certain nombre de questions.
Premier constat : la pensée libertaire aujourd’hui est traversée par un courant de pensée très actif qui mobilise et rassemble une partie de nos milieux militants mais également rassemble autour de lui des individu(e)s n’ayant jamais participé ( ou refusant de participer) activement à toute activité politique. Cette mouvance, qui peut se décliner de plusieurs manières, dénonce la surconsommation, la technologie, la science et ses dérives, la malbouffe…. et remet au centre de la réflexion l’idée d’une nature qu’il faut « préserver».
C’est au nom de cette nature qui serait première et dans un contexte de désenchantement politique total que l’essentialisme se développe sans entraves. Ce retour au naturel s’accompagne d’un retour à l’ordre moral, et au religieux sous des formes les plus diverses, allant d’une position mystique confuse « il faut honorer la mère nature » aux positions religieuses ouvertes avec un retour en force des intégrismes. Cette idéologie soi disant « a-politique » (enfin des discours qui ne sont pas pourris par la politique pensent certain(e)s!) détourne d’une analyse critique et politique, une prise de conscience salutaire des enjeux écologiques auxquels nous sommes confrontés.
Il ouvre des brèches insidieuses. Là où il faudrait construire une véritable pensée politique nouvelle, on observe un retour vers des idéologies réactionnaires, seuls référentiels prêts à penser.
Au sein des milieux et organisations anarchistes, cette influence (qui puise nous le rappelons, dans un questionnement légitime sur l’évolution de notre société de consommation), qu’on le veuille ou non est présente, elle s’insinue dans la littérature, dans les textes militants, dans les attitudes même. Comment cela pourrait il en être autrement ? Le confusionnisme idéologique qui fait des ravages n’épargne pas les milieux d’extrême gauche et libertaire. Que proposons nous ? Nous ne pouvons-nous nous satisfaire de positions de refus sans appel, d’avis tranchés, d’interdictions, nous ne pouvons pas non plus garder le silence. Il est urgent d’ouvrir des espaces de réflexion, d’analyse, sans avoir peur des fantômes du passé, mais en rappelant sans cesse ce qui nous fonde, comprendre ce qui sous-tend le mouvement vegan, le végétarisme, la diversité des revendications des milieux LGTBIQ, la stratégie de la décroissance, le refus d’un développement incontrôlé de la science et des techniques, le refus du travail et du monde du travail comme référentiel, le retour au local, la marchandisation de l’humain, le retour au religieux, le port du voile ou autre, le terrorisme religieux etc……il est urgent de débattre, de mettre nos idées et principes anarchistes à l’épreuve en les confrontant à l’évolution sociétale, aux histoires des individu(e)s et à leurs besoins. Il est urgent de leur donner leur place dans ces débats qui, surfant sur la confusion et la profusion de l’information tous azimuts se perdent dans les méandres nauséabonds d’une morale douteuse qui se propose de remettre de l’ordre dans nos pensées laissées sans guide…
Deuxième constat : le milieu et les organisations libertaires et anarchistes sont en difficulté justement parce qu’ils sont antiautoritaires ! Et cela pour deux raisons : parce que ce sont des milieux qui prônent la liberté d’expression et le débat d’idées et qui sont donc « poreux » mais aussi parce qu’ils laissent la place du pouvoir volontairement « vacante » (puisque n’aspirant pas au pouvoir) prenant ainsi le risque que ce pouvoir soit pris de manière arbitraire ou de manière insidieuse au nom des idées anarchistes par celles et ceux qui, à l’intérieur, trouvent là un débouché à leurs propres ambitions ou promotion.
On peut au nom de la liberté d’expression et du « devoir » de débattre, principes anarchistes fondamentaux, tenir des propos, écrire des textes ou livres, qui s’éloignent des principes anarchistes, on peut aussi, décider au nom des idées libertaires de jeter le discrédit sur des camarades considéré(e)s comme « non-conformes », on peut pour conclure, au nom des idées anarchistes s’autoriser à exclure celles et ceux qui veulent faire taire!
Nous sommes donc confronté(e)s à deux problèmes :
La prise de pouvoir autoritaire, de plus en plus fréquente, mode de réponse « économique » qui permet d’exclure le débat en imposant un point de vue (et qui résulte peut être de notre difficulté à penser ces questions de société). Ce positionnement marque un tournant important dans les milieux libertaires. Il montre l’influence majeure du système néo libéral sur nos organisations, la banalisation d’un fonctionnement on off, avec-contre, dedans-dehors… Ce système de pensée fondé sur l’urgence, la pression, l’isolement des individu(e)s, la précarisation, la concurrence, l’exclusion etc…., offre l’avantage de définir en permanence dans quelle case se trouve chaque individu(e). Pas d’espace de pensée, pas de temps de réflexion, pas de doute, pas de progression dans sa pensée et dans son point de vue sur les choses. Les pensées des autres sont intrusives, il faut les combattre, elles menacent mon équilibre en créant dans mon esprit un espace d’incertitude. Pourtant cet espace d’incertitude est aussi un espace de dialogue interne qui est le seul garant d’une vision autogestionnaire et libertaire de la société.
Lorsqu’on commence à « guillotiner », karchériser, exclure, répondre dans l’urgence, refuser de prendre le temps de la réflexion, résumer, reformuler, remettre de l’ordre, assainir, …….On finit par… voter et décider de prendre le pouvoir….
Salutations Anarchistes !
Graine d’anar, groupe lyonnais de la Fédération Anarchiste