Depuis quelques années, le mouvement de lutte pour l’émancipation et les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuel.le.s , trans, intersexes et queers semble marquer un virage qui me pose des interrogations fortes, et je pense, pour toute personne attachée à une vision anarchiste de la vie. Je vais tenter, de façon non exhaustive, et à l’éclairage de mes années passées dans ces mouvements, de lister quelques points qui m’interpellent fortement aujourd’hui.
La course à la famille semble aujourd’hui bien plus centrale que par le passé. Je me souviens, dans les années 1990, quand je découvrais la lutte dans ce domaine, que bien des soirées de débats se posaient sur « comment faire de nouvelles familles ». Pas seulement sur le plan de la représentation familiale (le fait d’avoir deux parents du même genre par exemple) mais bien de comment penser l’éducation des enfants, leur conception, les rapports humains que l’on pouvait leur offrir dans la diversité la plus forte possible (« quel pied d’avoir comme tonton une tata » était un des slogans qui revenait).
Depuis maintenant une dizaine d’années, et sous l’influence marquée d’associations de parents et futurs parents gay et lesbiens, ces modèles sont mis de côté au profit d’une lutte pour l’hétéronormativité1. Nous nous rapprocherions presque du « un couple stable pour des enfants c’est bien mieux que n’importe quoi d’autre ». Avec une vision petite bourgeoise de la maison, du break et du labrador dans la cour. D’une émancipation et de l’invention de nouvelles formes de familles, de relations, les revendications tombent de plus en plus dans l’aspect « normatif », comme s’il fallait pour l’ensemble des LGBTIQ se fondre dans un moule défini par la majorité hétérosexuelle masculine pour avoir le droit à une existence paisible.
Cette course à la famille va de paire avec celle de « l’enfant à tout prix » chez certain.e.s, ce qui entraîne aussi des glissements assez malsains dans les mouvements, surtout chez les personnes se reconnaissant comme hommes. La GPA, dont je ne ferais pas ici un exposé long, mais sur laquelle je ne peux que vous inciter à lire les textes déjà parus dans le Monde Libertaire, est aujourd’hui un peu imposée aux forceps dans toutes les manifestations en lien avec la vie LGBTIQ. Faisant fi des critiques d’associations féministes et/ou lesbiennes, ne tenant à aucun moment compte des dérives soulignées par des associations de terrain, tout est mis en place pour légitimer la GPA sans débat. Pire à mes yeux, le sexisme et la misogynie la plus crasse se libèrent souvent. Combien de fois ai-je entendu « mais elles peuvent faire des gosses, alors elles peuvent bien m’en faire un, merde ! » de la bouche d’un mec parlant des femmes. Qu’un débat s’ouvre est légitime, encore faut-il que ce soit réellement un débat. Et non un retour en force du patriarcat le plus ignoble.
Cette envie de « normalisation autour de la famille » n’est pas sans effet sur l’ensemble de la vie LGBTIQ. De plus en plus, les jugements de valeur réactionnaires fusent. Les couples libres sont montrés du doigt, les Drag Queens, les folles, les travestis, les lieux de détentes sexuelles ou non, les lieux de convivialité, voire même les « marches des fiertés » elles-mêmes, au nom de l’image renvoyée qui serait préjudiciable. Et ce, je le redis, au sein de la « communauté » LGBTIQ. Nous pouvons même entendre des choses comme « s’il avait été plus discret on ne l’aurait pas agressé ». Discours minoritaire par le passé, et qui tend parfois à devenir majoritaire même dans des réunions d’entraide…
Pour finir, je soulignerais la montée assez flagrante des idées du Front de la haine dans les discours de pas mal de personnes LGBTIQ. Au nom de la défense de modes de vie soit disant apaisés entre homo et hétéro, ce sont les migrants, les personnes issues de l’immigration passée, les « pas comme nous » qui sont aujourd’hui montrés du doigt. Et ce ne sont pas les derniers sondages, démontrant une proportion forte chez les hommes gays, plus forte que dans la population globale, au vote FN qui va nous rassurer. Repli identitaire ? Peut être.
Ce petit bilan n’a pas pour but d’être une étude approfondie des mouvements. Mais il me permet de poser une dérive constatée, un mal-être personnel qui s’installe, et sans aucun doute y a-t-il un besoin de renouveau et de radicalité anarchiste à apporter dans les mouvements en question.
Réinterrogeons la famille, les rapports de couple, la vie, la sexualité. Libérons-nous des chaînes du patriarcat et de l’hétéro-normativité. Sortons des clichés d’intégration par le « tous et toutes pareil.les » ou par la discrétion.
En tout cas, à titre personnel, j’ai pu tirer des mes années de militantisme une chose : ce n’est pas parce qu’on est membre d’une minorité, fut elle opprimée, que cela empêche d’adhérer aux pires idées qui soient. Le cliché de l’opprimé plus ouvert aux autres oppressions m’est largement passé, par la fréquentation de mes congénères. Une chose est certaine : les LGBTIQ, nous sommes des humains comme les autres sur tous les plans !
Fab, groupe Graine d’Anar de la Fédération anarchiste, Lyon
1Pensée qui considère l’hétérosexualité comme la norme