Février 2018.
(Dans le numéro 1794 du Monde Libertaire)
Je dois avouer que l’appel à sauver le bac dans le numéro 1792 du Monde Libertaire m’a, comment dire, un peu contrarié. Pas que je trouve le texte mauvais, il expose assez clairement une vision classique de la lutte des classes et du travail comme valeur centrale (définition par lui-même, ses codes et conventions et non par l’individu), mais parce qu’il me semble malgré lui prendre le pas d’une des plus grandes fumisteries de l’histoire moderne : l’école de la république serait égalitaire.
L’école n’est pas un lieu d’égalité et ne l’a, de fait, jamais été. Depuis sa création, l’école a pour vocation de permettre l’accès aux besoins nécessaires à une société basée sur un mode de gestion pyramidale. Que ce soit la royauté et/ou le capitalisme, l’accès au savoir y est donné en fonction des besoins et non pour le simple plaisir d’émanciper les foules. Les analyses d’une Louise Michel et d’un Sébastien Faure restent pertinentes aujourd’hui, même si mai 68 est passé par là.
Oui l’accès à l’école et au savoir est facilité aujourd’hui. Mais pas pour tout le monde. C’est même dès la naissance que la sélection s’opère. Le lieu de naissance, le milieu de naissance influenceront la façon dont l’école vous ouvre ses bras et dont vous serez perçu en son sein. Entre un élève d’un centre-ville d’une grande ville, avec ses écoles modèles et son périscolaire d’enfer, un élève de la campagne profonde et son école rurale qui fait avec les moyens du bord et un élève en pleine zone urbaine « défavorisée » , difficile de se dire que tout le monde part sur un pied d’égalité. Pareil ensuite quand le collège est à 10 bornes et le lycée à 30 … Et quand, parce que vous venez d’un milieu plutôt que d’un autre, l’éducation nationale vous orientera vers « ce qui est le mieux pour vous », comprenez pour le bassin d’emploi qui vous entoure, c’est bonus !
Ha mais les ministres eux le diront : les programmes étant les mêmes il y a égalité. Vaste fumisterie que de penser que les conditions de vie et d’apprentissage des fameux programmes n’auraient pas d’incidence. Comme s’il était aussi facile d’étudier quand on a ses deux parents, un frère ou une sœur, sa propre chambre ou un parent unique, une chambre pour trois et des fins de mois difficiles. Sans parler des aides aux devoirs et autres.
L’accès au savoir se reproduit comme des petits pains dans une boulangerie industrielle. Mais de la même façon, le manque d’appétence pour lui aussi. Lorsque vous venez d’une famille où par manque de temps, par sensation d’illégitimité, par manque de moyens, on laisse de côté la culture, vous aurez de grandes chances de reproduire l’inculture de votre famille. Bien entendu, il y a des exceptions mais elles sont minoritaires. Comme le montre l’observatoire des inégalités (Inégalités.fr), la reproduction sociale est de 90 % chez toutes les couches : un enfant de cadre aura tendance à aller vers des études supérieures, un enfant d’ouvrier vers des études le mettant au niveau d’ouvrier. Nous pourrons aussi nous reporter à l’excellent livre de Camille Peuny « Le destin au berceau : Inégalités et reproduction sociale« .
Car il y a ce trompe l’œil fatidique : les besoins de l’industrie et du marché du travail ont augmenté. Il faut aujourd’hui plus de connaissances pour travailler que 30 ans en arrière. Alors oui, le niveau scolaire montre et va vers des connaissances plus pointues, mais souvent techniciennes. Sauf qu’aujourd’hui, un Bac+2 a tendance à placer la personne qui le détient vers une position basse dans l’entreprise. Le technicien remplace l’ouvrier d’hier, les enfants d’ouvriers sont souvent les techniciennes et techniciens d’aujourd’hui. Il n’y a pas d’élévation sociale par le diplôme, mais une élévation du pouvoir d’achat (en lien avec le capitalisme d’aujourd’hui qui s’appuie à plus de 50 % sur la consommation). Couplé bien entendu à la création d’une part importante de personnes déclassées dans les métiers de l’aide à la personne, la livraison et autres.
Il est simple de constater que l’école suit le mouvement depuis des années, et pas simplement depuis l’arrivée de Macron au pouvoir et la nouvelle réforme du bac. L’école est et reste une pourvoyeuse de main d’œuvre et c’est son rôle premier. Je sais bien que nos milieux militants étant majoritairement constitués de personnes ayant fait des études littéraires (ou en lien avec les sciences humaines) et supérieures, il n’est pas simple d’accepter cela. Pourtant, bien des études sociologiques le démontrent : l’émancipation n’est pas en lien direct avec l’école.
Alors sauver le bac ? Pour quoi faire ? Pour sauver l’outil de sélection qu’il est ? Pour avaliser la fameuse « méritocratie républicaine » qui est viciée dès le départ ?
Il faut au contraire mettre à bas l’école telle qu’elle est aujourd’hui, exploser le ministère de l’éducation (quel mot froid) nationale, démolir le lien entre l’école et le travail, travail qu’il faudra aussi tuer un jour pour sortir du capitalisme. Nous ne pouvons pas nous contenter de porter l’idée que le bac d’avant serait mieux que maintenant, sans aller dans le sens tragique du soutien à un système vicié et malsain.
Oui je sais, certaines personnes s’en sont sorties grâce à l’école. Mais un système qui se contente de cette minorité pour affirmer qu’il est juste et efficient ne mérite pas d’être sauvé. Ou alors, doit-on se satisfaire d’un élitisme quel qu’il soit quand on vise une société où l’horizontalité la plus forte devrait être la règle ? Antinomique quand même …
Sauver le bac, l’éducation nationale, l’état et le capitalisme ? Mon cul ! Foutons tout cela au compost ! Il est temps de faire émerger d’autres formes de passage de savoir, qui sachent offrir l’opportunité aux individus d’exister, et pas aux « citoyens travailleurs » d’émerger.
Fab – Graine d’anar – Lyon (Avec l’aide de proches)