ARTICLE EXTRAIT DU MONDE LIBERTAIRE N°1810 D’OCTOBRE 2019
Bref, ça pue de plus en plus, et même si en France le gouvernement n’est pas d’extrême droite, nous avons pu assister ces dernières années à un glissement du spectre politique vers la droite, avec des thèmes de campagne s’axant principalement autour de l’immigration et de la sécurité (et encore plus après les attentats qui ont touché la France) chers au RN. Sans compter les différentes lois pondues par les derniers gouvernements (Sarkozy, Hollande et maintenant Macron) qui sont de plus en plus répressives, spécifiquement par rapport aux manifestations ou à la surveillance généralisée.
Les agressions fascistes, profitant notamment du mouvement des gilets jaunes, ont aussi augmenté, s’attaquant à tout ce qui ressemblerait à des « gauches », et s’ils ne les trouvaient pas, ils se rabattaient sur les personnes issues de l’immigration, ou considérées comme telles. Ils agissent aussi en dehors de ces manifestations, comme lors de la finale de la CAN à Lyon, où une vingtaine de fascistes ont attaqué une voiture à coups de barre de fer sur la place Bellecour, juste parce qu’il y avait des « sales bougnoules » dedans (d’autres agressions ont eu lieu, ce n’est qu’un exemple). Ils ont pu agir en tout tranquillité, les flics étant apparemment trop occupés à taper les supporters algériens et tout ce qui leur tombait sous la main de l’autre côté du pont dans le quartier de la Guillotière. Mais nous ne reviendrons pas sur la collusion entre fascistes et police ici, un autre texte serait nécessaire.
« Tout d’abord, ils ont gagné la bataille du Net. »
Je vais plutôt m’attarder sur cette montée de l’idéologie fasciste en France (on pourrait aussi parler des royalistes, qui semblent avoir le vent en poupe).
Tout d’abord, ils ont gagné la bataille du Net. Même si un peu de contenu de notre côté arrive, il arrive tard. Eux n’ont pas hésité à investir les réseaux sociaux et YouTube pour leur propagande depuis maintenant 10 ans, touchant ainsi un grand nombre de personnes, notamment ceux doutant des médias « mainstream », représentant un terreau fertile pour y semer leurs idées. Surtout que souvent, ils avancent masqués, comme Alain Soral qui peut avoir l’air, au premier abord, d’un nationaliste lambda. Mais derrière ses analyses, on ressent vite des relents antisémites, jamais clairement dits, à base d’allusions et de critique du sionisme (à part ici où il se lâche un peu trop :https://www.youtube.com/watch?v=ocHSdWXcOek). Petit à petit il capte son auditoire, l’amène à accepter ses thèses (notamment grâce à un travail préalable de Dieudonné, expert en conspirationnisme et confusionnisme). Certains fans de Dieudonné ont été choqués qu’en 2017 il appelle à voter Le Pen : mais vous pensiez quoi en fait ? Soral, son super pote, se réclame national-socialiste (c’est-à-dire nazi), mais à la française comme il dit ! Il n’y a alors pas trop de doutes sur la position politique de Dieudonné, qui n’est plus un humoriste depuis longtemps mais un militant politique.
On pourrait aussi parler du Bastion social (proche de Casapound, mouvement nostalgique de Mussolini en Italie) qui lors d’une interview se définit comme faisant partie du mouvement nationaliste et patriote mais utilisent des totenkopf (un des insignes de la Waffen SS). Cet interview a été donné par « Le média pour tous » de Vincent Lapierre, qui lui aussi n’assume pas clairement sa ligne politique (ils auraient honte d’être des fascistes ?) depuis qu’il fait des reportages sur le mouvement des gilets jaunes (confusionnisme quand tu nous tiens). Mais il était chez Égalité et Réconciliation, le mouvement de Soral, donc peu de doutes subsistent sur son appartenance politique. Tout ce petit monde entretient donc des liens plus ou moins étroits. Un récent reportage sur Génération identitaire a aussi montré qu’ils avaient des liens avec le Bastion social (aujourd’hui dissous). L’Action française (royalistes) se joint aussi à ces derniers pour aller tabasser du « gauche ». La violence étant un pilier de leurs idéologies, rien d’étonnant à ce qu’ils fassent ça ensemble.
« c’est plus faisable dans une vidéo de 50 minutes. »
Le nationalisme a toujours été la porte d’entrée du fascisme, qui pousse à se replier sur soi par peur de l’autre, menant inévitablement à une volonté d’homogénéiser un territoire national, selon ses soi-disant traditions ou selon une mythologie nationale remise au goût du jour. Aujourd’hui, le conspirationnisme est la porte d’entrée du nationalisme et ainsi du fascisme.
De plus, suite aux gouvernements gauche-droite qui se succèdent sans que rien ne change, l’extrême droite apparaît comme une alternative crédible (face à la mondialisation du capitalisme) ou dans le pire des cas, comme un moyen de faire bouger les gens, de les mettre dans la rue si le RN arrivait au pouvoir. Dans les deux cas l’analyse semble foireuse à souhait, mais je pense qu’on ne peut s’en prendre qu’à nous même. Le délitement de la social-démocratie (la France insoumise a encore plus ou moins le vent en poupe mais ça reste les seuls) est pourtant un point qui pourrait être positif pour les anarchistes, elle qui a toujours trahi ses engagements. Ses ex-adeptes devraient alors, théoriquement, adhérer à nos idées d’un changement, non par les urnes (voyant que ça n’a jamais fonctionné), mais par une révolution, abolissant tout pouvoir (politique et économique), puisque celui-ci n’amène que de simples réformes.
« A nous de sortir de nos carcans et d’oser plus »
Pourtant, le mouvement anarchiste et révolutionnaire de manière plus générale semble bloqué dans ses postures militantes, ne va pas vers les personnes qui pourtant pourraient se rallier à nos idées.
Le fatalisme semble avoir gagné quasiment toute la population, le temps passe et pourtant nous restons une infime minorité, n’arrivant pas à dépasser notre routine et notre confort militant, ne trouvant pas d’autres moyens de toucher les gens (et j’avoue ne pas avoir de solutions !). L’extrême droite, elle, arrive à jouer avec les codes actuels qui marchent chez la génération des 15-30 ans, à coup de vidéos d’actions coup de poings et d’une rhétorique remise en goût du jour.
Le fait que le mouvement anarchiste et ses pensées soient invisibles ouvrent donc un boulevard au fascisme, qui revient sous différentes formes mais avec des idées pas si neuves en fin de compte. A nous de sortir de nos carcans et d’oser plus, de toute façon nous n’avons plus grand-chose à perdre !
Pinou, Graine d’anar, Lyon