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Cette situation de confinement interroge profondément les ressorts du politique. Il y a quelques jours je suis sortie faire un footing avec mon compagnon : pas sur les berges du fleuve, que le préfet zélé a interdit d’accès, mais dans les lotissements autour de chez nous. Personne, ou si peu, dans les rues. Un homme (la soixantaine ?) sort relever le courrier dans la boîte aux lettres de son pavillon : il extrait une lettre à l’aide d’une pince crocodile. Il rentre chez lui en nous lançant un regard furtif, tenant toujours l’objet supposément contaminé bien à distance. Plus loin un automobiliste nous fait signe. De la main il réprouve notre sortie. L’activité physique est pourtant permise autour de chez soi, nous sommes certes deux, mais enfin nous vivons ensemble, cela ne change pas grand-chose. Ce simple geste me déstabilise. J’ai envie de rentrer. Ce n’est pourtant rien si l’on pense au filtrage musclé organisé par les forces de l’ordre qu’ont dû essuyer mes colocataires pour accéder au marché samedi matin ; l’un d’entre eux est d’ailleurs rentré bredouille, lui qui n’avait pas son laisser-passer. Depuis le gouvernement a durci les consignes de confinement : plus de pratiques sportives hors de chez soi.
L’attitude de ces deux hommes, croisés au fil d’un jogging, me semble révélatrice d’une même série de mécanismes politiques.
IMAGINAIRE ET GOUVERNEMENT
L’imaginaire oriente la conduite de ces deux voisins. Le soixantenaire à la pince croit en la présence toute proche du virus parce qu’il a peur pour lui-même et pour ses proches. La crainte fait naître en lui des images qui ne sont rien d’autre que sa réalité. La peur est dotée d’une véritable puissance phantasmagorique. L’automobiliste moralisateur fait quant à lui exister la loi en y croyant. Pour nous qui faisions le tour du pâté de maison, l’interdiction de sortir à plusieurs n’était qu’un conseil, une demande officielle que nous trouvions injustifiée dans la mesure où nous vivons ensemble. Que je sorte seule ou que nous sortions à deux, le résultat nous semblait identique : le risque de contamination des autres n’était pas augmenté, pas plus que celui de ramener le virus à la maison. Pour l’automobiliste grincheux en revanche, les demandes du gouvernement sont devenues des impératifs impossibles à transgresser, mâtinés de moralité. Dans les deux cas l’imagination fait exister l’impalpable : la loi n’existe que parce que nous lui accordons du crédit, le virus est présent même là où il n’est pas parce que nous y pensons. L’imaginaire nous gouverne ; et gouverner, c’est créer des imaginaires.
En effet, comment se forgent ces images ? Les discours scientifiques n’ont pas suffi, l’exemple de la Chine non plus, pas même encore celui de l’Italie. Nous avons tardé à y croire, à prendre la menace au sérieux. Il a fallu des décisions institutionnelles pour forger les esprits : l’annonce de la fermeture des établissements scolaires, la fermeture des magasins dits « non essentiels », le confinement, le confinement renforcé. La possibilité d’autres annonces à venir consolide encore les configurations mentales. Ces décisions institutionnelles – et leurs annonces théâtralisées – sont des détonateurs : elles déclenchent des prises de conscience, elles font tourner à plein les imaginaires, et ce parce qu’elles engendrent des problèmes. Comment continuer à gagner ma vie ? ……. La suite ICI