Agir n’est pas voter

(Texte du groupe issu de Monde Libertaire 1787 – Abonnez vous au Monde Libertaire)

L’anarchie […] est l’idéal qui pourrait même ne jamais se réaliser, de même qu’on n’atteint jamais la ligne de l’horizon qui s’éloigne au fur et à mesure qu’on avance vers elle, l’anarchisme est une méthode de vie et de lutte et doit être pratiqué aujourd’hui et toujours, par les anarchistes, dans la limite des possibilités qui varient selon les temps et les circonstances.
Il ne s’agit pas de faire l’anarchie aujourd’hui, demain, ou dans dix siècles, mais d’avancer vers l’anarchie aujourd’hui, demain, toujours.
Si pour vaincre il faut pendre sur les places publiques, je préfère être vaincu.

Errico Malatesta

Depuis des décennies, que disons nous, des siècles, la classe politique nous demande de la légitimer par le vote. Il faut voter, encore voter, toujours voter. Cela serait, selon toute vraisemblance, la seule façon de s’exprimer et d’agir.

Nous autres, anarchistes, avons au cœur de mettre le pouvoir non seulement à mal, mais surtout de côté. Nous savons que tout pouvoir corrompt, et que, comme le disait Louise Michel, est maudit. Maudit, car même avec les meilleures intentions, nous avons vu les dérives rapides d’autocratie qui émergent dès qu’une personne persuadée d’être dans le vrai abandonne le collectif au profit de « son intuition ». C’est pour cela que nous prônons le consensus, des mandats courts et impératifs (donc contrôlables en permanence) et le refus de parvenir (1), qui ne peuvent qu’éviter l’incarnation magique de la solution dans une sauveuse, un sauveur suprême, mais bien remettre dans les mains de toutes et tous nos destins.

Pourtant la sociale démocratie actuelle propose, elle, l’inverse. C’est le jeu de pressions toujours plus fortes pour le vote (instruction civique à l’école, télévision, famille, amis, etc…). Nous avions déjà les élections traditionnelles, mais comme cela ne suffisait pas, voilà l’invention et la mise en place des primaires !

Nous autres libertaires savons que le vote est le choix de l’abdication de liberté et de pouvoir dans et sur nos vies . Les votants les délèguent à une instance « supérieure » à nous et font aussi le choix du plus petit dénominateur commun. Autrement dit, le pire du moins pire en permanence.

Quand les primaires arrivent, par exemple, une série de candidat est proposée. Rarement les sympathisant.e.s qui vont voter sont d’accord à 100% avec le candidat qu’ils et elles soutiendront (plus rarement ce sont des candidates, machisme oblige) . Disons qu’ils le sont à 80 % et à moins de 60% avec les autres, voire moins.
Le premier tour des primaires se passe, et le candidat qu’ils / elles soutenaient, lui, ne passe pas. Ils / elles se retrouvent donc avec deux candidats à départager, avec qui, ils / elles ne partagent pas vraiment de convictions fortes.
Ils / elles le feront quand même en choisissant le « moins pire » et parfois (souvent ) en suivant la consigne de vote de leur premier choix, de leur leader.
Et ainsi de suite : une fois ce candidat dans l’arène politique, après le premier tour, rebelote … Etc … Quelque soit l’élection, cette logique se répète.

C’est ainsi que nous nous retrouvons gouverné, du fait des votantes et votants, par des personnes qui sont déjà d’une classe éloignée des nôtres et qui ne portent que quelques miettes avec lesquelles les électrices et électeurs sont d’accord. C’est ce fameux « plus petit dénominateur commun ».

Mais alors, que proposent les anarchistes ?

Pour notre groupe (car nous n’avons clairement pas la science infuse), il faut déjà élargir les possibles. Les solutions ne sortent que mieux de milliers de têtes, plutôt que de quelques unes.

 

Qui mieux que celles et ceux qui font pousser les légumes peuvent nous dire comment améliorer leurs conditions de travail ? Et que celles et et ceux qui font le ménage ? Et que celles et ceux qui font tourner les usines ? Etc… Dans le même temps, qui mieux que celles et ceux qui habitent un espace peuvent savoir ce qu’il faudrait en faire ? Qui mieux que celles et ceux qui ont besoin de manger peuvent définir leurs besoins ? Etc…

Vous l’aurez compris : nous sommes un peu tout cela, travailleuses et travailleurs, habitantes et habitants, usagers et usagères, consommateurs et consommatrices. Aucun aspect de la vie ne nous est extérieur. Tout se croise dans nos vies. A nous de construire un commun qui n’opprime personne, et libère tout le monde.

Alors, oui, pour le groupe Graine d’Anar, tout est politique, de l’intime au commun. Et tout peut et doit se discuter, s’affirmer, s’affiner. Assemblées populaires, agoras, causeries, nous ne savons quelles formes sont les meilleures pour l’heure. Mais ce qui est certain, c’est que le premier pas de nos libertés, c’est le dialogue entre nous sans passer par les campagnes électorales qui cherchent à créer des antagonismes pour permettre à quelques nantis de le rester. Et n’abdiquons jamais notre esprit critique face à l’information et les divertissements, en gardant en tête nos buts et nos aspirations.

Nous devons parler de comment reprendre les moyens de production au capital, pour les collectiviser. Trouver les moyens d’assurer à toutes et tous l’accès à la santé et aux besoins de base. Passer du travail à l’activité. Libérer nos vies des servitudes. Personne n’a la solution seule. Personne ne sait tout sur tout. Mais ensemble, nous sommes inventifs.

Et ne nous accrochons pas à des lignes, autrement appelées frontières, décidées, dessinées, par celles et ceux qui nous privent de nos libertés. Elles ne sont là que pour asseoir les pays, les patries. Autant d’illusions qui n’ont jamais servies qu’a nous envoyer mourir au front pour leurs grandeur, le pouvoir des nantis et des financiers. En clair soyons internationalistes !

Et l’anarchie n’étant pas, selon nous, qu’un mode de gestion de nos vies, tous ces changements ne peuvent se faire qu’en refusant toute position oppressive. Cela recoupe des formes tel que le racisme, la réassignation, le sexisme et tout autre hiérarchisation des humain.e.s, ainsi que le refus de toute élite éclairée.

Des utopies tout cela ? Et pourtant, dans l’histoire, pour exemple, la sécurité sociale est née comme cela, les congés payés aussi, la baisse du temps de travail aussi. L’invention est du côté des confrontations d’idées et des luttes.

Des expériences anarchistes ont eu lieu : les Communes (2), la révolution mexicaine (3), la Makhnovchtchina (4), la révolution espagnole (5). N’oublions pas que ces mouvements ont tous été réprimés dans le sang par des pouvoirs trop heureux de sauver les privilèges de quelques uns. Ces pouvoirs issus des rangs républicains, religieux ou soviétiques, tous soit disant libérateurs des peuples.

Mais aussi des exemples sans doutes moins impressionnants mais tout autant utiles : coopératives d’entraides, dispensaires gratuits et autogérés, AMAP, ZAD, échange de services de façon gratuite et horizontale, etc… L’anarchie vit toujours aujourd’hui, plus ou moins fortement.

Alors oui, nous pourrions faire un appel à la révolution qui nous ferait du bien. Mais honnêtement nous préférons vous appeler à en parler, à se convaincre collectivement qu’un autre monde est possible et à s’organiser. Semons des graines d’anarchie et regardons croitre notre liberté.

Groupe Graine d’anar de la Fédération Anarchiste – Lyon

(1) Refus de parvenir : Refus de parvenir – pas de « réussir » : l’expression date d’il y a un siècle, mais plus que jamais, à travers la critique des sociétés du paraître, de l’argent, cette posture reprend tout son sens : refus des privilèges, des distinctions, de la promotion individuelle, qu’elle soit syndicale, politique ou universitaire.

(2) Paris , Lyon, Saint Étienne en 1871, lors des révoltes populaires

(3) Flores Magon et les zapatistes entre 1910 et 1920 

(4) Ukraine 1918 à 1921

(5) Espagne 1936-1937